Plantes aromatiques & médicinales: du jardin des simples monastiques au jardin des complexités écologiques ?

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1620 route de Fauville, 76640 Normanville
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17 - 18 September 2022
Overview

Depuis le capitulaire de Villis, édicté par Charlemagne en l'an 812, le droit s'est imposé dans la culture des "simples", pourchassant sorcières et charlatans, au profit de jardins bien policés s'éloignant toujours plus de l'état de nature, au sein de monastères dont la minéralité de ses cloîtres nous vient directement de la culture méditerranéenne Orientale.
À partir du IXe siècle, l'école de médecine de Salerne, via Constantin l'Africain qui traduisit en latin bon nombre de textes grecs et arabes de médecine antique, servit de passerelle entre la Grèce, l'Orient et Byzance pour la création d'une nouvelle « science » médicale, portée par une dense activité de moines copistes et recopistes, à travers toute l'Europe. Durant six siècles, ces moines, privés du contact direct avec certaines plantes puisque le nombre des simples était bridé par Charlemagne, déformèrent sans cesse la représentation graphique de ces plantes dans leurs copies d'ouvrages de médecine au gré de leurs talents ou de leurs fantaisies. La mandragore, non cultivée dans les cloîtres, en est l'exemple le plus frappant, avec une représentation forçant le trait anthropomorphique de sa racine. Ainsi quantité d'autres images entretenaient une grande confusion.

Avec la création de l'imprimerie, le besoin se fit sentir d'un retour à la réalité des plantes, pour permettre une approche sensorielle directe par les étudiants en médecine, d'où le premier jardin botanique de Padoue, en 1545, élargissant la gamme des 75 simples du Capitulaire de Villis. Ce nouveau jardin botanique reprit, tout naturellement, le modèle du Proche et Moyen-Orient avec son jardin clos, sa fontaine au centre et ses quatre allées en croix, en direction des points cardinaux comme l'avait déjà adopté le jardin médiéval avec ses planches surélevées pour assurer un drainage permettant de se rapprocher des conditions climatiques méditerranéennes.
C'est donc par le biais de la médecine méditerranéenne qu'est né le souci d'exactitude pour l'identification des plantes, in hortus, préparant ainsi la discipline taxinomique d'un Linné, lequel provoquera le retour, in situ, de nombreux naturalistes de terrain, explorant des contrées de plus en plus lointaines pour y herboriser. Cependant, avec la récolte de graines qui viendra enrichir nos jardins botaniques européens, ces infatigables voyageurs, mus par l'esprit aristotélicien basé sur l'observation empirique, constituèrent, à partir du XVIe siècle, des herbiers et des planches botaniques très précises pour pouvoir disposer de la flore du monde entier sous les yeux avec rien que du papier sous la main, puisqu'une fois desséchées à plat, elles s'insèrent dans des « feuillets » plus aisément classables et classifiables. Cette réduction plane, chère aux botanistes, contribua très certainement à former l'esprit encyclopédique, avec le retour aux bibliothèques réificatrices non seulement des plantes, mais aussi -grâce au développement de l'iconographie- de l'ensemble du vivant devenu l'objet des sciences naturelles, donnant ainsi un second souffle à l'«Histoire naturelle » de Pline l'Ancien. Celles-ci s'émancipèrent très vite des théories fixistes et créationnistes de l'église pour esquisser le concept d'évolution, suite au transformisme de Lamarck.

Le darwinisme technologique fait qu'aujourd'hui, ces bibliothèques sont numériques et que l'intelligence artificielle traite ces données accessibles par écran… toujours aussi plat !
Depuis le jardin des simples, il s'agit bien, là encore, d'une simplification, objectivation et mise à distance du monde par la raison pour faciliter le syllogisme inductif que la pensée poétique ou magique n'habite désormais plus.
Ensuite, la raison des sciences, des arts et des métiers promue par les lumières considèrera notre terre comme une infinie source de profit que la raison capitaliste exploitera à son tour sans merci…
Et pourtant, avant les assignats et autres billets de banque (bien plats eux aussi !) combles du transfert de signifiant par la réduction-objectivation de la valeur de toutes choses, il a bien fallu, d'abord, capitaliser les connaissances grâce à l'économie de temps et d'espace que ces conversions simplificatrices opèrent… c'est toute l'histoire de l'écriture !

Si les chiffres et les lettres n'épargnent personne, c'est aussi parce que, dans l'inconscient collectif, ils sont marqués du sceau des religions et du droit, un « surmoi » qui nous joue bien des tours aujourd'hui, à l'heure où les forêts brûlent accélérant le réchauffement climatique. Les arbres virtuels des databases vont-ils nous aider à respirer ? Les lois (et leurs dérogations…) vont-elles parvenir à empêcher les glaciers de fondre ? Les fluctuations des actions vont-elles rétablir les saisons de notre terre désenchantée ?

Dans ce contexte d'éco-anxiété pour les nouvelles générations d'humains (et de non humains…), les jardiniers s'activent avec des allers-retours constants entre leur jardin-forêt et la masse de données sur les plantes désormais partout accessible afin d'y tester de nouvelles espèces, venues du vaste monde, grâce aux talents des voyageurs et pépiniéristes ou encore obtenues par hybridation.
De l'écran à l'écrin et vice versa, ils notent leur expérience et la partagent volontiers in situ ou sur les réseaux pour s'adapter au mieux à l'évolution des conditions pédo-climatiques du morceau de planète qu'ils habitent et dont ils célèbrent la beauté par la mise en scène de la biodiversité liée à leur biome.

En retour, les plantes aussi interagissent sur leur milieu, par leur ombrage, appréciable par temps de canicule, ou par leurs racines, régulant les zones inondables, sous l'œil vigilant du maître des lieux, veillant à la santé de ses protégées pour l'harmonie générale du biotope.
Outre l'application immédiate des propriétés des plantes sur telle ou telle maladie définie par la « materia medica » de Dioscoride depuis l'antiquité, puisque la botanique doit son existence à la médecine, la santé des hommes s'avère dépendre également de la santé de son environnement et des interactions écologiques, comme l'énoncera bien plus tard l'américaine Rachel Carson dans son « Silent spring ».
Nous l'apprenons aujourd'hui à nos dépends, notamment dans les villes soumises régulièrement aux pics de pollution et de chaleur, d'où l'intérêt des jardins urbains formant des puits de carbone agissant directement sur la qualité de l'air. De même, en milieu rural exposé à l'agriculture intensive, les parcs et jardins trouvent une fonction nouvelle comme phytoremédiateurs contre les pesticides au bénéfice de la qualité de l'eau. Sans oublier la biodiversité animale et les insectes pollinisateurs qui trouvent tout naturellement refuge dans ces aires d'exception soustraites aux productivismes urbain ou agricole.

Il devient évident qu'une « nature » reconstruite, après tant de destructions, soigne bien plus efficacement l'homme dans son environnement qu'un jardin des simples où chaque plante est isolée de sa voisine, sur sa planche dédiée avec son étiquette poussant au milieu d'une terre à nue, arrosée au goutte à goutte par temps de canicule. Même en climat méditerranéen, il y a des thyms, des sarriettes, des couvre-sols venant tapisser le pied des plantes arbustives en se moquant des limites imposée par l'étiquetage et la terre n'est jamais nue !

Alors sortons de l'anthropocentrisme médical et éveillons nos sens, comme Theophraste, Aristote et ses disciples du Portique, pour aller nous promener, en bons péripatéticiens, afin d'observer les agencements complexes non seulement de la nature mais aussi des jardiniers contemporains composants en conscience avec les différents étages de végétation, jusque sous terre au royaume des racines, ainsi qu'avec les cycles saisonniers.
Une bouffée de chlorophylle, une bonne marche en immersion dans le spectacle vivant des plantes, sublimées par la belle lumière dorée de l'automne, vous feront autant de bien qu'une bonne tisane que vous pourrez toujours déguster ensuite pour vous désaltérer si vous voulez goûter à la saveur du savoir… naturellement conforme à l'article D4211-11 du code de la santé publique, rassurez-vous ! Homo sapiens ou bien « homo sine sapore » (Cicéron) après les années Covid ?!

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