Du Fort Saint Nicolas à La Citadelle de Marseille - 350 ans d'histoire européenne
La Citadelle de Marseille est une forteresse construite en 1660 sous l’ordre du Roi Soleil pour « mater l’esprit de trop grande liberté des Marseillais ». Les travaux sont dirigés par l’ingénieur Louis Nicolas de Clerville qui s’inspire des bastions italiens à double enceinte.
Symbole de l’autorité royale, le fort est partiellement démonté par les habitants lors de la Révolution française. Alors que la France se retrouve en guerre contre les monarchies européennes, le futur empereur Napoléon Bonaparte le sauve de la destruction en raison de son potentiel défensif stratégique.
Pendant le XX°s, le fort est un grand témoin des velléités entre les nations européennes. Le régime de Vichy y instaure un tribunal militaire chargé de juger communistes, résistants, pacifistes, et membres des mouvements de décolonisation émergeants…Y Seront emprisonnés des personnalités comme Jean Giono pour ses écrits pacifistes ou Habib Bourguiba, militant pour l’indépendance tunisienne, ainsi que Simone Weil, philosophe qui cherchait à rejoindre Londres. A partir de 1942, les nazis occupent le fort, et nombreux sont les soldats à y avoir laissé des traces de leur passage par des gravures.
Le site restera une prison militaire jusque dans les années 70, et les témoignages de certains détenus nous informent sur les conditions déplorables de détention. L’armée française installe aussi au fort un centre d’écoute, ainsi que le seul institut de recherche en Europe sur les maladies tropicales. Certaines de ces activités perdureront jusqu’à la cession du fort à la Ville de Marseille en 2011. L’ambition d’en faire un lieu de vie et de culture se concrétise par la signature d’un bail entre la Ville de Marseille et l’association de la Citadelle de Marseille en 2021. La restauration du fort est par ailleurs assurée par les chantiers d’insertion de l’association ACTA VISTA depuis 2003 qui accueille près de 40 nationalités.
Lorsque Louis XIV exige en 1660 la construction par les Marseillais du Fort Saint Nicolas sur le Vieux Port, il veut bien sur doter cette ville d’une protection nécessaire aux invasions maritimes. Mais son véritable dessein est tout autre. En effet, si l’ensemble du Royaume de France s’est soumis au pouvoir royal à l’issue de la Fronde, période de rébellion contre le pouvoir central, les Marseillais sont encore trop enclins à la révolte. La mission confiée à l’ingénieur Louis Nicolas de Clerville, maître de Vauban, n’est autre que d’ériger un fort avec des canons dirigés vers la ville, en vue de « mater l’esprit de trop grande liberté des Marseillais ».
Symbole de l’autorité royale, le Fort Saint Nicolas est partiellement démonté par les habitants lors de la Révolution française. Le futur empereur Napoléon Bonaparte, alors commandant de l’armée révolutionnaire et conscient de son potentiel défensif stratégique, ordonne sa reconstruction du fort en 1793, alors que la France est menacée par les monarchies européennes. Devenu prison militaire à compter du XIXème siècle, Il sera du reste le miroir des relations internationales entre la France et les autres pays d’Europe. En 1823, 569 prisonniers espagnols y seront notamment incarcérés, suite à l’expédition d’Espagne de l’Empereur Napoléon I.
Mais c’est surtout pendant la seconde Guerre Mondiale que la Citadelle de Marseille va témoigner du long processus de construction européenne.
Entre 1939 et 1942, le gouvernement de Vichy installe une section spéciale du tribunal militaire chargée de juger les « menées antinationales » et plus particulièrement, les activités « communistes et anarchistes », ce qui englobe de fait tous les mouvements de la Résistance, ainsi que les premiers mouvements liés au phénomène de décolonisation qui s’observent déjà dans plusieurs pays européens.
Des personnages inconnus ou célèbres, ont ainsi été incarcérés entre les murs du Fort : Jean Giono, détenu deux mois en 1939 pour diffusion d’écrits pacifistes ; Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale dans les 1930, incarcéré au fort de décembre 1940 à janvier 1941 à la suite de sa condamnation pour « désertion » par le régime de Vichy ; Habib Bourguiba, militant pour l’indépendance tunisienne, inculpé de conspiration et incitation à la guerre civile en 1939, puis Président de la Tunisie de 1957 à 1987 ; Hédi Nouira, également militant pour l’indépendance tunisienne, puis Premier Ministre de 1970 à 1980 ainsi que la philosophe et résistante Simone Weil, jugée en 1941 pour avoir voulu rejoindre Londres.
Le fort n’échappe ensuite pas à l’occupation nazie de Marseille dès novembre 1942. Les troupes allemandes occupent le Fort, d’où elles comptent défendre la ville “jusqu’à la dernière cartouche”, conformément à l’ordre de Hitler. Les Allemands capitulent en août 1944 sous les bombardements en provenance de Notre-Dame de la Garde, contrôlée par les armées de la Libération. Aujourd’hui encore, leur passage est visible par les nombreux dessins et inscriptions gravés dans la pierre par les soldats allemands.
L’utilisation du fort comme prison perdurera jusque dans les années 70. Les témoignages poignants des prisonniers nous renseignent sur les conditions difficiles d’incarcération des détenus à la Citadelle et sur les pratiques de tortures qu’ils subissaient. Ces témoignages font ainsi écho aux valeurs démocratiques désormais défendues dans l’ensemble des pays européens.
Les années 70 marquent aussi le lancement d’une nouvelle activité militaire au fort : les souterrains deviennent un centre d’écoute surnommé les « grandes oreilles de l’Etat ». De plus, à partir de 1974, le fort héberge le seul institut militaire en Europe spécialisé dans le domaine de la médecine tropicale, l’IMTSSA.
Le Fort reste la propriété de l’armée française qui continue d’y développer ces deux activités jusqu’à ce qu’il devienne la propriété de la Ville de Marseille en 2011. Une page de l’histoire du fort se tourne.
Un projet d’ouverture au public va progressivement émerger, nourri des valeurs de paix, de partage, et d’échanges propres à la construction eurpéenne.. Il se concrétisera par la signature d’un bail de 40 ans entre la Ville de Marseille et l’association la Citadelle de Marseille en décembre 2021. L’ambition de faire de la Citadelle un lieu de vie et de culture avec et pour tous est notamment permise grâce à la restauration du fort assurée par le chantier d’insertion d’ACTA VISTA depuis 2003.
C’est ainsi que ce lieu chargé d’histoire et fermé aux habitants pendant plus de 350 ans, ouvre une nouvelle page de son histoire en rendant aux Marseillais ce lieu construit initialement à leur encontre.
La valeur européenne de la Citadelle de Marseille est assurée par son rôle dans le développement et la promotion des valeurs communes qui sous-tendent l’intégration européenne, notamment la liberté, le respect des droits de l’Homme et de la dignité humaine.
Si l’idée d’une Europe s’est progressivement répandue depuis la fin du XIXème siècle, c’est la Seconde Guerre Mondiale et les horreurs qui en ont résulté qui ont été le catalyseur de la construction européenne. En ce sens, la Citadelle de Marseille est un témoin d’un des chapitres les plus sombres de l’histoire européenne récente. Elle a tout d’abord servi de prison militaire au Régime de Vichy pour des personnalités symboles de résistance comme Jean Zay et Jean Giono, avant d’être occupé par les nazis jusqu’à la Libération. C’est précisément afin de contrecarrer la résurgence de ce type d’atrocités, dont le fort a été témoin, que s’est matérialisée la volonté de construire une Europe de la paix, érigée sur un ensemble de valeurs communes.
Là encore, le passé du fort nous permet d’illustrer ces valeurs, reprises dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Notamment, les témoignages de prisonniers comme Jean Zay, Jean Giono, ou de niçois résistants contre le régime de Vichy, nous renseignent sur les conditions difficiles de détention, et sur le caractère arbitraire de celles-ci. Parce qu’elles ont été bafouées, ces témoignages nous rappellent l’importance de certaines des valeurs défendues par l’Europe : la liberté d’expression, le droit à un procès équitable, le respect de la dignité humaine, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains. L’ensemble de ces témoignages et les traces du conflit mondial font du fort un lieu de résistance au sein duquel le devoir de mémoire peut et doit s’exercer de manière propice.
Au-delà de son passé, la dimension européenne du fort est plus qu’actuelle. En effet, la Citadelle de Marseille s’inscrit dans les dynamiques européennes.
Engagée dans le développement durable, elle a notamment développé le projet REMEDSPACE s’inscrivant dans le cadre du New European Bauhaus, afin de développer et promouvoir les solutions fondées sur la nature pour la gestion des sols pollués. Elle candidate d’ailleurs à Horizon Europe en partenariat avec Aix Marseille Université pour poursuivre le développement du projet.
Par ailleurs, courant 2023, la Citadelle obtiendra l’accréditation Erasmus+ afin de s’enrichir des pratiques de différentes structures cultures européennes.
Dans le cadre d’Europe Creative, elle prévoit de mettre en place des résidences d’artistes en partenariat avec différents pays européens afin de faire découvrir et circuler les différentes artistiques et culturelles.
Si elle développe des projets à l’échelle européenne, elle adopte néanmoins une démarche participative au niveau local afin que la construction du projet d’ouverture du fort se fasse en considération des futurs usagers du fort. Plus de 500 Marseillais ont ainsi été conviés en 2022 à réfléchir ensemble à l’avenir de leur patrimoine.
De plus, elle développe ses projets culturels avec des structures culturelles du territoire à l’échelle de la ville ou de la région. Elle veille aussi à ce que sa programmation culturelle soit diversifiée et puisse attirer différents publics. Elle s’attache notamment à construire des projets artistiques et culturels à destination des salariés en insertion présents sur site. La jeunesse est également l’un de ses publics cibles, et les visites du fort, en dehors des JEP, sont en très grande majorité proposées à des scolaires ou à des jeunes de centres sociaux.